Longtemps l'Union européenne a été le rêve des peuples qui la composent aujourd'hui. Sous ses appellations successives, la construction européenne était un gage de paix et une assurance de progrès économique et social. Aujourd'hui, elle fait partout l'objet de préventions de plus en plus fortes de la part des populations. Ce ne sont pas les dernières élections espagnoles ou britanniques qui prouveront le contraire.
Face à cette montée des mécontentements, les responsables européens restent sur une position de plus en plus délicate. Le malaise va bien au-delà d'une crise économique qui traîne et met à rude épreuve l'emploi et le pouvoir d'achat. Car l'Europe d'aujourd'hui n'a aucun des atouts d'un Etat, même fédéral. En revanche, les administrateurs qui agissent en son nom à Bruxelles se comportent comme les « missi dominici » d'un Etat centralisateur.
L'Union européenne n'exerce vraiment aucun des pouvoirs régaliens qui sont les premières missions d'un Etat : les relations avec l'extérieur, la protection des populations, les infrastructures économiques.
L'Europe n'a pas de véritable politique étrangère commune. Chaque chef d'Etat membre continue de négocier avec l'étranger, que ce soit la Russie de Poutine dans le conflit ukrainien ou les pays du Golfe dans les affaires du Proche-Orient.
Bruxelles n'a pas davantage de défense commune. Ce n'est pas l'Europe, mais la France, avec quelques autres pays, qui combattent les djihadistes au Mali ou « l'Etat islamique » en Irak et en Syrie. Seules la France et la Grande-Bretagne conservent d'ailleurs aujourd'hui en Europe occidentale la capacité, au demeurant modeste, d'intervenir à l'extérieur de leurs frontières.
L'Europe n'a pas de monnaie commune puisqu'une dizaine de pays de l'Union ne sont pas membres de la zone euro, et que certains Etats qui en font partie peinent à s'y maintenir. Ni de politique économique commune puisque la stratégie de Lisbonne, lancée à grand renforts déclamatoires en l'an 2000 pour faire de l'Europe l'économie de la connaissance la plus compétitive au monde en une décennie, s'est évanouie bien avant la crise des subprimes.
Comment les peuples des nations qui la composent pourraient-ils s'identifier à l'Europe, si elle n'a aucun des attributs qui font qu'un Californien ou un Texan peut être fier d'être américain, peut voir les Etats-Unis exister en tant qu'Etat, puissance protectrice de sa liberté et de sa sécurité, et moteur de sa prospérité ?
A l'inverse, les règles imposées par Bruxelles dans des domaines de plus en plus nombreux présentent tous les inconvénients d'un pouvoir centralisateur. A défaut de politique économique, on a des règles budgétaires, qui fixent notamment à 3% du PIB la limite du déficit annuel des Etats membres. Ces règles, on veut les imposer à la Grèce par exemple, alors que certains « grands » comme la France s'assoient dessus depuis des années.
On a des règles tout aussi intangibles concernant la liberté de circulation des personnes, que l'on veut également imposer à tous de façon stricte, au risque de faire imploser l'Union elle-même. Le bras de fer engagé à ce sujet avec la Grande-Bretagne sera d'une autre nature que les négociations, même extrêmement difficiles, avec le gouvernement d'Athènes, voire avec celui de Madrid à l'automne prochain…
De toute évidence, l'image de l'Europe se dégrade. Et c'est sans compter avec les anicroches de l'actualité, comme l'affaire Ségalat, qui montrent, dans un tout autre registre, que des accords conclus entre pays amis et unis pour « développer davantage la coopération internationale » peuvent aboutir à un scandaleux fiasco. A l'issue d'une procédure judiciaire complète, à laquelle la Cour européenne des droits de l'homme n'a rien trouvé à redire, la justice suisse a condamné Laurent Ségalat à 14 ans de prison pour meurtre. Le condamné étant de nationalité française et vivant en France, Paris vient de faire savoir qu'il n'était pas possible de lui faire exécuter la peine selon les bases légales existantes. Or, la Suisse et la France, toutes deux membres du Conseil de l'Europe, ont signé la « convention sur les transfèrements des personnes condamnées » qui a précisément été conclue pour éviter que ces personnes puissent échapper à la justice.
Lacune du droit, dira-t-on. Apparemment, mais elle est très fâcheuse. La situation inverse aurait sans doute valu à la Suisse d'être montrée du doigt comme une pestiférée par l'Europe toute entière. Cette lacune devra donc être comblée le plus rapidement possible pour que de tels cas ne puissent plus se produire. C'est le sens d'une motion que je viens de déposer au Conseil national. Mais au-delà des détails d'une affaire « juridique », ce qui frappe, c'est le symbole politique, le symbole d'amateurisme qu'elle représente.
Olivier Feller
Conseiller national PLR Vaud
Article publié dans L'Agefi du 3 juin 2015