Tarmed, c’est raté. Le nouveau tarif médical devait revaloriser les médecins généralistes. Objectif manqué. Thomas Zeltner, directeur de l’Office fédéral de la santé, vient de l’admettre dans une longue interview accordée à 24 heures. «Tarmed a déçu», constate-t-il. Tellement déçu que ceux qui devaient en être les bénéficiaires, les médecins généralistes, vont manifester leur ras-le-bol le 1er avril prochain à Berne. La pollution administrative et les coûts supplémentaires qu’elle engendre étaient pourtant prévisibles. Comment a-t-on pu imaginer sérieusement favoriser la relation entre le patient et son médecin en obligeant ce dernier à décompter son travail par tranches de cinq minutes? Essayez d’en faire autant, en distinguant en outre chacune de vos tâches, et vous verrez à quel point c’est convivial, enthousiasmant, efficace dans votre relation avec l’autre.
Berne n’en est pas à son premier coup d’essai dans sa volonté de plaquer du mécanique sur du vivant. Thomas Zeltner se trouvait déjà aux côtés de Ruth Dreifuss pour nous vanter les mérites de la LAMal. Votez pour la nouvelle loi sur l’assurance maladie, qu’ils disaient. Elle va faire baisser les primes grâce à la concurrence entre les caisses, à la planification hospitalière, au contrôle des prix et des tarifs médicaux. On a vu ce qu’il fallait voir. C’est raté.
Le même Thomas Zeltner, aujourd’hui aux côtés de Pascal Couchepin, veut maintenant supprimer l’obligation faite aux assureurs maladie de rembourser tous les médecins, ce qui revient à restreindre le libre choix du médecin par le patient. Comme avec l’interdiction d’ouvrir de nouveaux cabinets médicaux introduite en 2002, on nous ressert le même bricolage sans vision globale. Et la même idée simpliste et malsaine: il faut réduire le nombre de médecins pour réduire les coûts de la santé.
Toutes ces mesures qui relèvent de l’illusion idéologique n’obtiendront qu’un seul vrai résultat: le découragement de vocations et la pénurie de médecins, comme on le déplore aujourd’hui déjà en France, y compris dans le monde hospitalier. Les premiers signes de cette pénurie se manifestent dans notre pays. Le nombre des étudiants en médecine a tendance à diminuer. Les médecins installés qui posent les plaques pour faire tout autre chose ne sont plus rarissimes exceptions. Les généralistes, internistes et pédiatres commencent à faire défaut, surtout dans les régions périphériques. En dehors des zones urbaines, les annonces concernant des cabinets à remettre demeurent sans réponse durant des mois, faute de candidats. Au rythme où vont les choses, cette tendance va singulièrement se renforcer au cours des prochaines années.
On ne peut pas davantage agir à rebours du bon sens alors que le vieillissement de la population s’accentue parallèlement et que le domaine de la santé reste l’un des secteurs à haute valeur ajoutée où notre économie peut continuer de progresser et de se développer.
Signe des temps: le numerus clausus touche les études de médecine, non les autres. Les facultés de médecine ne pourraient d’ailleurs pas accueillir davantage de candidats avec les moyens matériels et humains qui leur sont alloués. L’impasse est donc parfaitement programmée. Avec l’acharnement fort peu thérapeutique que l’on pratique à Berne, nous devrons bientôt répondre à une étrange question: comment faire face à une pénurie de médecins après avoir diabolisé leur pléthore?
Olivier Feller
Député au Grand Conseil
Article publié dans la rubrique "L'invité" de 24 Heures du 23 mars 2006