Qui aurait parié sur cette nouvelle il y a seulement cinq ans? Le pouvoir d’achat moyen des Irlandais est désormais supérieur à celui des Suisses! Le taux de chômage en Irlande (4.3%) est même inférieur à celui des cantons latins (5.6%).
Cette dégradation relative de la situation de notre pays a des conséquences sociales, de plus en plus visibles sur le plan collectif et dommageables sur le plan humain. Elle résulte du recul de la compétitivité de notre économie. La Suisse souffre depuis une bonne dizaine d’années d’une croissance anémique et qui le restera cette année encore. Les jeunes peinent à trouver leur place sur le marché du travail. Le nombre de faillites d’entreprises (10'424) a brutalement augmenté l’an passé pour retrouver le record enregistré en 1993. Les grandes sociétés suisses progressent moins vite que leurs concurrentes. Ce climat général plombe la consommation et répand la morosité. Alors est-ce vraiment le moment d’augmenter les impôts des citoyens-contribuables et des entreprises ?
Pour redonner de l’allant à notre économie, il faut redorer la formation, renforcer la recherche, permettre au dynamisme des femmes et des hommes de ce pays de se concrétiser. Il faut accélérer les décisions, alléger le carcan administratif mis en place pendant les années d’euphorie, donner de l’air aux initiatives personnelles. Tout le monde le dit, le répète, le promet pour demain, à commencer par le Conseil fédéral et son pâle économiste en chef, Joseph Deiss. Mais personne n’obtient de résultats probants. De fait, les normes, les exigences, les procédures ne font qu’augmenter en nombre et en complexité. En comparaison, les gouvernements fédéral et cantonaux seraient bien en peine de publier une liste significative des contraintes supprimées ces dernières années dans la vie des entreprises, en particulier des PME.
Faut-il un exemple récent? Le discours sur la nécessité de soutenir la formation est le plus consensuel qui soit dans notre pays. Et que fait-on? Avec le nouveau certificat de salaire qui entrera en vigueur le 1er janvier 2006, les frais engagés par un employeur pour le perfectionnement d’un employé seront considérés comme un salaire indirect s’ils sont supérieurs à 12'000 francs dans l’année. Cela revient à gonfler artificiellement la rémunération de l’employé et son impôt sur le revenu. A moins que l’entreprise ne paie l’impôt supplémentaire à sa place. D’une manière ou d’une autre, c’est une entrave stupide à cette formation que l’on veut, paraît-il, promouvoir. Le président de la direction générale de la Banque cantonale vaudoise, Alexandre Zeller, s’en est d’ailleurs indigné dans L’Hebdo du 10 février dernier, dans ce même numéro qui titrait à la une «Impôts: comment payer moins?». Hélas, nous serions déjà contents s’il ne fallait pas en payer plus… «Introduire une taxe sur le perfectionnement est une aberration, explique le patron de la BCV. Il faudrait faire exactement l’inverse: inciter fiscalement les salariés à suivre des cours et les entreprises à former leurs employés et leurs cadres.» Le problème en Suisse, c’est qu’il faut désormais expliquer l’évidence.
En attendant que l’Etat veuille bien faire ce qu’il prétend vouloir, c’est-à-dire améliorer les conditions-cadre de l’activité des entreprises, les partenaires sociaux – patrons et syndicats – ont la possibilité et la responsabilité de réfléchir et d’agir ensemble. Face au danger réel de voir la Suisse continuer de perdre ses atouts dans la compétition internationale et les avantages matériels et sociaux qui en découlent, une prise de conscience est nécessaire de part et d’autre. Comme toute notre histoire le démontre, chacun des partenaires sociaux ne peut que perdre dans la confrontation et le conflit. Mais tout le monde y gagnera si un accord global intervient – qu’on l’appelle comme on voudra – sur les mesures à prendre et les limites à poser pour retrouver, dans notre pays, le chemin de l’effort, de la croissance et de l’innovation.
Olivier Feller
Député au Grand Conseil
Article publié dans 24 Heures du 21 février 2005, rubrique "L'invité"