Les États n’ont pas d’amis. Ils ont des intérêts. La Confédération paie aujourd’hui d’avoir ignoré ce précepte fondamental dans les relations internationales. C’est d’autant plus incompréhensible que Donald Trump l’affiche depuis des mois sur la casquette qu’il a vissée sur la tête: «America First.»
Que fallait-il de plus pour nous mettre en alerte? Rien. Sauf que la Confédération a préféré fonder sa politique sur le principe d’espérance plutôt que sur le principe de réalité. Espérance qu’ayant été les premiers à pouvoir lui parler en direct, nous ne serions pas les derniers servis. Espérance qu’en se gardant de nous compromettre avec nos voisins européens, nous obtiendrions sans doute un traitement plus favorable qu’eux. Espérance qu’au nom de l’amitié, de la bonne foi, de la loyauté et de je ne sais quelle autre valeur dont Trump se moque éperdument, le nouveau Jupiter de Washington exempterait la Suisse de sa foudre. Jusqu’au moment où le couperet des 39% de droits de douane supplémentaires est tombé, le Conseil fédéral et ses experts n’ont cessé de croire – ou du moins de nous faire croire – que les signaux étaient au vert. Qu’une crise majeure puisse éclater semblait totalement exclu.
La Suisse fait preuve depuis longtemps, il est vrai, de naïveté à l’égard de Washington. Cette attitude ne se limite pas à la guerre commerciale en cours. Elle saute aussi aux yeux dans l’affaire des F-35. Comme tous les pays européens, la Suisse a un urgent besoin de renforcer sa défense, en particulier de son ciel. Ce n’est pas moi qui dirai le contraire. Pour le faire, on a choisi en l’occurrence un avion américain plutôt qu’un avion européen. C’était, nous a-t-on affirmé, le meilleur et le moins cher. Soit. Il était même vendu, promis juré, à un prix fixe.
Quand des doutes sont apparus, on a nié l’existence d’un quelconque problème en exhibant des avis de droit et l’engagement – public, vous pensez! – de l’ambassadeur américain en Suisse. Entre-temps, tous les responsables de la décision ont démissionné et il a fallu attendre l’arrivée d’un nouveau conseiller fédéral pour que le discours se fasse soudainement moins tranchant. Le 16 juin 2025, en réponse à une question soulevée au Conseil national, le Conseil fédéral continuait certes «de considérer que le prix fixe convenu [s’appliquait] à l’acquisition du F-35», mais examinait «toutefois la situation de façon continue et communiquerait en cas d’une modification de la situation». À présent, on sait ce qu’il en est.
Dans un tel contexte, peut-être qu’enfin – peut-être – le Conseil fédéral finira par comprendre qu’il ne fallait pas laisser les responsables de la gestion des fonds AVS choisir une banque américaine comme banque dépositaire de cette fortune, alors que plusieurs banques suisses – il y en a encore quelques-unes – avaient les compétences pour faire le job.
Olivier Feller
Conseiller national PLR Vaud
Article publié dans 24 heures le 18 août 2025