L'affaire Hildebrand l'a montré. La situation actuelle en matière de surveillance de la Banque nationale suisse (BNS) n'est pas satisfaisante. Ce contrôle est pour le moins lacunaire.
La preuve? Le Conseil fédéral s'est trouvé dans une situation embarrassante. La BNS échappant, dans l'état actuel des choses, au champ de compétences du CDF, le Contrôle fédéral des finances, le gouvernement a dû recourir à un subterfuge pour en savoir plus sur ce qui s'était passé. En décembre 2011, une délégation ad hoc du Conseil fédéral a en effet mandaté ad personam Kurt Grüter et Michel Huissoud, directeur et vice-directeur du CDF, en vue d'auditer les comptes bancaires de Philipp Hildebrand et des membres de sa famille. Autrement dit, comme on ne pouvait pas mandater le Contrôle fédéral des finances en tant qu'organe, on a mandaté ses directeurs à titre personnel. Vous avez dit bizarre?
Le mandat privé confié aux deux directeurs - sur la base de quel type de contrat? - consistait à savoir si des transactions effectuées par Philipp Hildebrand ou des membres de sa famille pouvaient poser problème eu égard à sa fonction. Leur rapport conclut que Philipp Hildebrand n'a violé aucune disposition légale et réglementaire en vigueur. Quelques jours plus tard, pourtant, il démissionne, au vu du déficit de crédibilité qu'ont engendré les transactions qui sont reprochées à son épouse et dont il a eu connaissance, après coup, sans réagir. Alors de deux choses l'une: ou bien les dispositions légales et réglementaires en vigueur sont suffisantes pour assurer un comportement irréprochable et crédible de la direction de la BNS, et on ne voit pas pourquoi Philipp Hildbrand a démissionné. Ou bien on peut respecter intégralement toutes ces dispositions et ne plus être crédible malgré tout. Vous avez dit bizarre?
Dans la loi actuelle, c'est le conseil de banque de la BNS - qui correspond en fait au conseil d’administration - qui surveille et contrôle la gestion des affaires et qui "s'assure en particulier que la loi, les règlements et les directives sont respectés" au sein de la banque (article 42 de la loi sur la BNS). Il est sans doute permis de s'interroger, sur le plan des principes déjà, sur le bien-fondé de confier cette tâche au conseil de banque plutôt qu'à un autre organe. Mais une chose est sûre: cette surveillance et ce contrôle n'ont pas empêché une affaire d'éclater et de se révéler suffisamment gênante pour provoquer la démission du directeur de la BNS.
En deux mots, ce n'est pas le conseil de banque qui a vu le problème, mais un collaborateur de la Banque Sarasin, à l'origine des fuites. Le service de compliance de la BNS, au courant des transactions effectuées par l'épouse de Philipp Hildebrand, n'a même pas jugé bon, au vu de la dimension prise par l'affaire, de demander au directeur de faire annuler les transactions en cause. Il est vrai que ces dernières années, la BNS a cru devoir assouplir certaines des règles en vigueur concernant les transactions financières privées des membres de la direction. Vous avez dit bizarre?
De toute évidence, à moins de vouloir jouer aux singes qui ne veulent rien voir, rien entendre et rien dire, la situation ne peut pas, ne doit pas être maintenue en l'état. Alors que faire?
Il n'est surtout pas question de porter atteinte à l'indépendance totale de la BNS dans la conduite de la politique monétaire du pays. Aucune disposition ne doit venir réduire cette indépendance-là. En revanche, il n'est pas admissible qu'un dirigeant de la BNS ou l'un de ses proches puisse effectuer, en toute légalité interne et à l'abri des regards extérieurs, des transactions financières contestables.
Le Conseil fédéral se réfugie aujourd'hui derrière le rapport qu'il a commandé au professeur Paul Richli, à la suite de l'affaire Hildebrand, pour dire, comme lui, que le cadre constitutionnel en vigueur ne permet pas d'adopter une autre répartition des tâches de surveillance de la BNS.
Mais l'expert n'a fait que répondre à la question qui lui était posée. Et la question était pour le moins limitée. Personne n'a en effet demandé au professeur Richli ce qu'il faudrait changer pour que les lacunes constatées dans l'affaire Hildebrand puissent être comblées. On est parti du principe que la Constitution fédérale était intouchable sur ce point, ce qui est pour le moins curieux au vu du nombre d’initiatives prises pour la modifier dans bien des domaines, y compris par le Conseil fédéral, et souvent pour des motifs moins graves que la démission du directeur de la Banque nationale.
Une solution simple me paraît à notre portée, sans aucune révolution constitutionnelle. Il suffirait de permettre que la surveillance de la gestion administrative de la BNS, le respect des règlements, l'application des directives, etc. fassent désormais partie du champ de compétences du Contrôle fédéral des finances.
Le Tribunal fédéral, l'autorité ultime de la justice de notre pays, l'un des trois pouvoirs constitutionnels, est bien soumis au contrôle du CDF en ce qui concerne sa gestion administrative. Je n'ai jamais entendu dire que cela mettait en cause l'indépendance du tribunal suprême quand il rend ses arrêts. Alors pourquoi ne pas traiter la BNS par analogie avec le Tribunal fédéral?
L'exception dont bénéficie la BNS ne tient en tout cas pas la route s’il s’agit de protéger par ce biais l'indépendance qui doit lui être laissée en matière de politique monétaire. Cette indépendance est dans l'intérêt du pays et j'y suis attaché. Mais les événements qui sont à l'origine de la démission de Philipp Hildebrand n'ont rien à voir avec ce principe. On ferait bien d'en prendre conscience avant que d'autres surprises, à la BNS ou ailleurs, ne viennent encore affaiblir la crédibilité des institutions phares de notre pays.
Dans l'immédiat, j'ai le sentiment qu'on cherche à noyer le poisson, à reporter à plus tard l'examen des vraies questions. Dans l'espoir que le Parlement, les médias, les citoyens, se désintéressent de l'affaire avec le temps. Ce n'est pas sain.
Olivier Feller
Conseiller national, membre de la Commission des finances du Conseil national
Article publié dans Le Temps le 7 mars 2012