La guerre du lait qui secoue l’Europe et la Suisse est un vrai signal d’alarme. Les paysans ont à juste titre le sentiment d’être abandonnés à leur sort alors qu’ils remplissent la tâche essentielle de fournir l’alimentation de base de la population. Comment veut-on qu’ils réagissent à la manière dont on les pressure quand on sait que le prix du lait nécessaire à la fabrication d’un yaourt est inférieur au coût de l’emballage?
Le désarroi des paysans est un signe supplémentaire de l’incohérence de notre société. Alors que depuis des mois tout le monde, G20 en tête, réclame plus de régulation des marchés financiers, qui ont fini par marcher sur la tête, l’Organisation mondiale du commerce, l’Union européenne et la Suisse cherchent à supprimer la régulation du marché agricole. Notre attitude à l’égard de l’agriculture me fait penser à l’abandon des trams dans presque toutes nos villes dans les années 60. Nous aurions été bien inspirés de les conserver. Nous n’aurions pas à les reconstruire à grands frais.
En Suisse comme ailleurs en Europe, le lait est aujourd’hui payé au producteur au-dessous du prix de revient. C’est aberrant. Le prix doit être en relation avec les coûts et les avantages d’une production de proximité. Ceux qui prétendent qu’il est préférable d’importer les aliments que nous ne pouvons pas produire à des prix compétitifs se moquent de l’avenir. Car la comparaison des prix devrait intégrer tous les coûts liés aux effets pervers de la dérégulation du marché agricole: sur l’emploi, sur l’aménagement du territoire, sur la sécurité alimentaire, sur le développement durable.
Faut-il remplacer les fermes réparties sur l’ensemble du territoire, et qui font partie de son aménagement, par quelques immenses "usines à lait" concentrées autour des grands centres urbains? Faut-il ignorer les émissions de CO2 provoquées par le transport sur de longues distances d’aliments que l’on peut produire sur place? Faut-il compter pour rien le fait d’être autonome pour une partie de notre alimentation et de notre économie?
Nous pourrons peut-être un jour nous passer du pétrole. Nous ne pourrons jamais nous passer de nourriture. L’alimentation sera un défi majeur de notre siècle en raison de l’augmentation de la population, de la réduction des surfaces agricoles et du changement climatique.
Prendre en compte les facteurs qui légitiment une certaine protection des marchés agricoles, et pas seulement du marché suisse, nécessite évidemment une autre mentalité que celle qui règne aujourd’hui à Berne, à Bruxelles ou dans les couloirs de l’OMC. Il faudrait une vision à long terme là où dominent des préoccupations de rendement à courte vue. Pionnier de la prospective, Gaston Berger aimait raconter cette histoire. Sur une route qu’il connaît bien, le conducteur d’une charrette qui se déplace la nuit au pas du cheval n’a besoin que d’une simple lanterne pour éclairer son chemin. En revanche, l’automobile qui roule à vive allure sur une route inconnue doit être munie de phares puissants. Notre politique agricole est une automobile lancée à toute vitesse, en pleine nuit noire, munie d’une piètre lanterne. Ça doit changer.
Olivier Feller
Député radical au Grand Conseil
Article publié dans 24 heures du 17 octobre 2009