Le recours à la violence, qui ne cesse d'augmenter dans notre société, est de plus en plus le fait de jeunes, voire de très jeunes. En 2005, la moitié des auteurs des délits avec violence commis dans le canton de Vaud avaient moins de 25 ans, un tiers étaient mineurs.
Cette évolution est d'autant plus grave qu'elle s'accompagne d'un phénomène nouveau: la violence purement gratuite et fanfaronne. Des ados agressifs, les filles n'étant pas toujours en reste, n'hésitent pas à mettre en scène leurs actes de violence, à les photographier ou à les filmer et à diffuser les images de leurs exploits par le biais de leur portable ou sur Internet. Les victimes? D'autres jeunes, des enseignants, des passants, n'importe qui, pourvu qu'on puisse taper, blesser, humilier, violer, et s'en vanter auprès des autres et du monde entier. Les lieux? Les transports publics, les préaux d'école, tout simplement la rue. Les motifs avancés? Parfois l'ennui que les drogues dites légères et l'alcool ne parviennent plus à faire oublier, le plus souvent rien, le seul plaisir de faire mal et de détruire. Car ces ados qui font peur s'en délectent. On les entend se raconter leurs performances: «T'as vu ce que je lui ai mis». Le «happy slapping», ce qui veut dire en gros «taper pour s'amuser», a fait son apparition à Londres en 2004, où la police a recensé 200 cas en six mois. En Suisse, le premier cas a été enregistré en juin 2005. Certes, de tels actes ne concernent pour l'heure qu'un petit nombre d'adolescents très agressifs. Mais il ne faut pas tout relativiser. Il faut au contraire agir sans attendre, et agir tous ensemble: les parents, les enseignants, la police, la justice, les professionnels de l'action sociale, les collectivités publiques et leurs autorités. Car il s'agit moins d'un problème de sécurité que d'un problème de société.
La montée de la violence, en particulier chez les jeunes, est due à l'effondrement de tous les repères:
- Celui de la famille. A Genève, les poursuites judiciaires de parents pour violation du devoir d'assistance ou d'éducation de leur enfant ont augmenté de 119% en 2005!
- Celui du tabou de la violence, qui s'est banalisée. A la télévision, sur Internet, au travers des jeux vidéo, trop d'enfants sont confrontés, sans limite ni contrôle, à des scénarios et à des images extrêmes. Tous ne réagissent pas de la même manière, mais le jeune qui manque de repères risque de passer à l'acte en confondant le virtuel et la réalité.
- Celui du langage, devenu laxiste. Avec l'angélisme qui a voulu faire de l'école un lieu de vie sympa, où l'effort et la concentration sont relégués à l'arrière-plan de l'obligation d'ambiance «cool», nos collèges risquent de devenir des laboratoires de la haine. Le vocabulaire ordurier utilisé dans les préaux et sur les blogs exprime une absence totale de respect des personnes et un mépris sans borne pour les femmes réduites au rôle d'objet sexuel.
- Celui de la règle commune, en voie de perdition. En France et en Allemagne, la situation est telle dans certains établissements scolaires que les enseignants ont lancé des appels au secours. Dans la banlieue de Berlin, par exemple, les profs d'une école ont demandé la fermeture de leur établissement, en soulignant que plus de 80% des élèves étaient d'origine étrangère. Mais peut-on encore écrire, sans tomber dans le politiquement incorrect, qu'une immigration excessive ne laisse plus à la société d'accueil la possibilité ni le temps d'assurer une intégration non seulement souhaitable mais nécessaire?
Si nous voulons éviter la spirale du sentiment d'insécurité d'une bonne partie de la population, du sentiment d'impunité des petits délinquants et du sentiment d'impuissance de tous les acteurs de la société pris individuellement, il nous faut reconstruire. Comment? En combinant la prévention, le retour à l'éducation citoyenne et à la discipline dans les écoles, ainsi que la sanction. Aucun de ces volets ne sera efficace à lui tout seul. Or, tout nous fait défaut.
On n'ira pas loin avec une prévention fondée sur les caméras de vidéosurveillance quand les agresseurs en sont à filmer eux-mêmes leurs agressions et à se transmettre les images comme des trophées sur Internet. Quant à l'arsenal judiciaire, il est inadapté. Les sanctions possibles sont ridicules par rapport aux comportements actuels de certains mineurs. Elles prévoient la réprimande dont ils se moquent comme de leur première layette, les arrêts scolaires qui n'ont plus aucun effet, et des travaux d'utilité publique, ce qui reste encore le plus efficace. Quand les délits mettent en lumière des lacunes en matière d'éducation, on peut certes aller jusqu'au placement en institutions. Mais celles-ci sont pour la plupart débordées.
A force de vouloir tout disculper, tout expliquer, on ne fait qu'aggraver la perte de repères et ses conséquences. Sans tomber, à l'inverse, dans l'excès du tout répressif, on ne peut tolérer le retour aux pratiques du temps des cavernes.
Article publié dans Le Temps du 9 mai 2006