Actualités  |  Mercredi 15 juin 2005

LA MALBOUFFE DE JOSEPH DEISS

Quand un ministre de l’économie se mêle de votre cuisine, il est prudent de se méfier. Quand il s’appelle Joseph Deiss, mieux vaut l’éloigner des fourneaux. Car la dernière recette imaginée par ce morne professeur pour dynamiser les cafés-restaurants du pays risque surtout de les dynamiter.

Dans le cadre de la nouvelle loi fédérale sur le marché intérieur, actuellement en discussion à Berne, Joseph Deiss s’est mis en tête de supprimer l’obligation d’avoir un minimum de formation professionnelle pour tenir un café-restaurant. On pourrait ironiser sur ce programme ultralibéral d’un conseiller fédéral démocrate-chrétien, dont le parti clame bien haut qu’il se situe au centre du centre. Thérèse Meyer, fribourgeoise elle aussi, et présidente PDC du Conseil national, a fait savoir qu’elle était opposée à ce projet. On se moquerait volontiers de ces contradictions politiciennes si la mesure envisagée par Joseph Deiss ne risquait pas de conduire à la catastrophe une branche importante de notre économie.

Au fait, pourquoi nos chers experts fédéraux veulent-ils supprimer la nécessité d’un minimum de formation pour ouvrir ou tenir un restaurant dans notre pays? Pour renforcer la compétitivité de notre économie par une concurrence accrue! On croit rêver. La compétitivité de l’économie suisse est fondée sur la formation, pas sur le laisser-aller. Et le secteur de la restauration n’a pas besoin d’être fouetté par une plus forte dose de compétition. Il est déjà soumis à une concurrence acharnée. Joseph Deiss ne lirait-il pas les journaux? La branche enregistre environ deux faillites par jour. Un établissement sur quatre change de mains chaque année. Selon le président de Gastro Suisse, l’association des cafetiers, restaurateurs et hôteliers, sur les 30'000 établissements recensés dans notre pays, un tiers risque de disparaître dans un avenir proche.

Ce n’est donc pas d’un manque, mais d’un excès de concurrence dont souffre aujourd’hui la branche. Pourquoi faudrait-il l’augmenter artificiellement alors que tout concourt à rendre plus difficile la marche des affaires? Au-delà des avis des uns et des autres sur le nouveau taux d’alcoolémie toléré au volant, le 0.5‰, la morosité économique pèse sur le moral et le porte-monnaie des consommateurs. J’invente? L’économie suisse flirte à nouveau avec la récession. Le nombre d’actifs diminue. Trouver un emploi demande plus de temps qu’auparavant. Les Suisses voyagent moins. Le parc automobile vieillit. Comment voudrait-on que tout aille bien pour les cafetiers-restaurateurs?

Evitons d’ailleurs les amalgames volontairement entretenus par certains : l’exigence d’une formation de base pour exercer un métier ne conduit d’aucune manière à un verrouillage du marché. En clair, l’obligation d’acquérir un minimum de connaissances professionnelles n’a rien à voir avec une clause du besoin qui a certes existé dans le canton de Vaud dans le domaine de la restauration, mais qui a été supprimée il y a belle lurette.

Le tourisme est notre troisième richesse nationale. La restauration joue par ailleurs un rôle social incontestable, sinon pourquoi parlerait-on d’établissement public? Sur un plan général, s’en prendre à la formation professionnelle est déjà une faute en soi. Dans ce domaine particulier, c’est une stupidité. Les cantons qui ont franchi ce pas en paient déjà les conséquences. Car la qualité de l’accueil et du service ne s’improvise pas, pas plus que l’hygiène alimentaire. Dans le canton de Zurich, la suppression de la formation pour obtenir une patente a fait augmenter le nombre de contrôles et naturellement de contrôleurs. Ces dépenses supplémentaires de l’Etat n’ont pas pour autant empêché la situation de devenir préoccupante sur le plan de la sécurité alimentaire, de l’aveu même des responsables zurichois. Mais après tout, c’est peut-être cela l’objectif de Joseph Deiss: créer une concurrence effrénée entre les cafetiers-restaurateurs, organiser un chaos prévisible, pour aboutir ensuite à une multiplication des contrôles étatiques financés par l’argent du contribuable…

Olivier Feller
Député au Grand Conseil

Article paru dans la rubrique "L'invité" de 24 Heures du 15 juin 2005