Actualités  |  Vendredi 1er avril 2011

Transport et logement vivent en couple

Les transports stimulent apparemment la créativité. Il y a ceux qui les réclament gratuits, ce qui serait la meilleure manière de leur assurer un avenir soviétique. Il y a ceux qui excluent les seniors des heures de pointe, les forçant à la grasse matinée, à moins qu'ils renoncent aux rabais du troisième âge. Et il y a ceux, plus récemment encore, qui veulent à la fois augmenter les tarifs et réduire les déductions fiscales liées aux déplacements professionnels.

Pan sur les pendulaires. Cette dernière idée de génie émane de la conseillère fédérale Doris Leuthard et de ses services. La toute nouvelle ministre des transports appartient au parti de la famille. Ce qu'on ne comprend pas très bien, c'est comment cette mesure va les aider, les familles. Un exemple. Vous êtes un couple avec deux enfants et vous cherchez un logement du côté de Lausanne et environs, où l'entreprise dans laquelle vous travaillez est tout bêtement installée. Seulement voilà, vu la pénurie de logements qui règne sur l'arc lémanique, vous ne trouvez rien qui soit décent pour vous loger, à un prix qui le soit aussi. Vous cherchez donc ailleurs, un peu plus loin, et vous trouvez, par exemple à Yverdon-les-Bains, où le marché est malgré tout moins tendu. Ma foi, vous ferez les trajets. Et un beau matin, vous apprenez l'annonce du tarif CFF qui monte et de la déduction fiscale qui descend. A part cela, bien sûr, les impôts n'augmentent pas. Et puis vous appartenez à la classe moyenne, vous n'êtes ni pauvre, ni riche, vous travaillez, de quoi vous plaignez-vous?

Caricature? Même pas. Car cette anecdote met bien en rapport le manque d'anticipation d'une politique des transports où les investissements nécessaires ont été largement sous-estimés pendant des décennies, malgré les prévisions démographiques, et les blocages d'une politique du logement.

Si vous voulez éviter d'accroître le nombre des pendulaires, et les difficultés de transport qui vont avec, il faudrait construire les logements là où il y a les emplois. C'est simple, Monsieur de la Palisse lui-même y aurait pensé, mais apparemment, c'est très compliqué dans notre pays.

Même les médias étrangers commencent à parler de notre difficulté à nous loger. En février dernier, l'hebdomadaire français Le Point a consacré une enquête à l'exode frontalier de la population genevoise à la recherche d'un toit. Le problème est là: on ne construit pas assez de logements dans les régions à forte densité d'emplois. Pourquoi? Parce que le système est freiné par trop de règles et de procédures, un véritable labyrinthe qui fait augmenter les coûts et peut finir par décourager les promoteurs.

Partout, les projets provoquent une pluie de recours qui sont trop lentement traités. Dans les cantons de Vaud et de Genève, on ne veut pas supprimer certaines lois sous prétexte de protéger les locataires, alors que ces dispositions ralentissent la mise à disposition de nouveaux logements. C'est le cas, notamment, de la loi concernant la démolition, la transformation et la rénovation d'immeubles.

Mais surtout les règlements d'urbanisme sont totalement obsolètes. Alors que le terrain manque et manquera toujours plus, alors que la protection de la nature et de l'environnement devrait nous conduire à densifier considérablement les zones constructibles, on continue de gaspiller d'immenses surfaces pour des immeubles de logements et des bâtiments commerciaux ou de service de quelques étages seulement. C'est un non-sens total. Certes, il y a bien quelques tours qui se construisent ici et là. Mais ce sont des objets de prestige, souvent uniques, qui ne relèvent pas de l'aménagement du territoire. Ce qu'il faut, c'est pouvoir surélever les immeubles dans les villes et construire en hauteur en dehors des centres historiques. C'est le moment d'en prendre conscience et de prendre des mesures avant que notre impéritie paralyse nos transports et transforme notre pays en "machin" complètement mité.

Olivier Feller
Député radical au Grand Conseil vaudois

Article publié dans Le Temps du 1er avril 2011